
Walid et Ofer se sont rencontrés pour causer ici de ce qu’il se passe là-bas.
Il y a quelques mois, des membres de l’Apeis se rendaient en Palestine en solidarité avec le peuple Palestinien.
-Existence ! poursuit la réflexion sur le conflit Israëlo-Palestinien en faisant se rencontrer deux militants de la paix : Ofer Kahana, graphiste et membre de l’organisation pacifiste Israëlienne Gush Shalom, vit en France depuis août 2000 ; Walid Atallah, de l’Association des Palestiniens en France, vit ici depuis 1969. Il est retourné en Palestine de 94 à 98 puis un mois en 99 avant de se voir refuser toute demande de visa. Leur parole est porteuse de paix.
- Existence ! : Ofer, tu es retourné en Israël à Pâques. Comment les événements y sont-ils vécus ?
Ofer : C’était vraiment difficile pour moi. J’y vais pour voir la famille mais je ne suis forcément pas d’accord avec tout ce qu’il se passe, surtout au niveau de l’opinion publique. Il y a un mouvement incroyable des Israëliens vers la droite.
- Existence ! : Est-ce que les pacifistes Israëliens ont un impact ?
Ofer : Ils sont vraiment isolés, ça devient de pire en pire. Les médias sont devenus les porte-paroles du gouvernement. Quand tu parles avec la gauche Israëlienne, ils sont d’accord pour évacuer les colonies mais se trouvent toujours des excuses comme, par exemple, dire qu’Arafat ne veux pas la paix. C’est ça le discours : « On a essayé de faire la paix, Barak a tout accordé aux Palestiniens mais ils ne veulent pas la paix ». Il y a un effort des médias et du gouvernement pour éviter toute discussion. Ils ne parlent qu’à peine du fait que l’Arabie Saoudite a proposé de reconnaître Israël dans ses frontières de 1967 contre l’arrêt de l’occupation ; il n’y a pas de discussions là-dessus, c’est incroyable ! C’est pourtant une chance historique. Tout le monde a tellement peur…
J’étais à Tel Aviv à Pâques, c’était totalement vide. Quand tu marches dans la rue, les gens te regardent, voir si tu es un terroriste, si tu vas faire un attentat. Il y a un garde qui te fouille dans les restaurants, les parents ne vont jamais ensemble faire les courses pour qu’il en reste un à l’enfant s’il arrive quelque chose… C’est dans la tête. Les gens laissent l’armée faire comme elle veut.
Mais dans le même temps, je pense qu’avec la dernière intifada (terme qui signifie « soulèvement populaire » Ndlr), le problème est devenu plus clair pour tout le monde. Si tu commences à parler des territoires, de retirer les colonies, tu poses immédiatement la question de la légitimité d’Israël dès 1948. Pour moi, c’est une chance que tout le monde parle de ça maintenant.
Walid : Mais quand les Israëliens reparlent de 48, remettent-ils en question la légitimité d’Israël ?
Ofer : Ils comprennent que le problème n’a pas commencé en 67, qu’il est beaucoup plus large que l’annexion des territoires. Les gens pensent que si tu commences à évacuer les colonies, tu veux évacuer Tel Aviv aussi. Pour la gauche Israëlienne, les accords d’Oslo étaient une autre manière d’éloigner les arabes : « Bon, Israël sera plus petite mais les Palestiniens ne seront plus notre problème. »
Walid : Il y a eu la première intifada, les processus de négociations, ça n’a pas marché donc les gens reviennent aux vraies questions de 48 et de ses conséquences.
Ofer : Il y a ces questions sur 48 et la guerre Israëlo-arabe et puis il y a la question des colonies : Personne n’a compris cette contradiction des territoires qui sont occupés par Israël mais où la loi Israëlienne ne s’applique pas. Il y a plus de trois millions de Palestiniens qui ne peuvent pas voter, qui n’ont pas de droits. Est-ce que les territoires occupés c’est Israël ou pas ? Si oui il faut qu’il y ai les mêmes droits pour tous. Si non, il faut immédiatement les évacuer parce qu’il n’y a pas de logique, même pas une logique de sécurité.
Walid : C’est toujours la même question de savoir quel projet de société il va y avoir en Israël et avec les Palestiniens. Est-ce le projet de séparer, d’avoir la loi Israëlienne appliquée seulement aux Israëliens ? Ou est-ce que les Palestiniens vont pouvoir faire partie d’un projet de société commun ? On n’a jamais dit qu’il fallait séparer, au contraire, c’est le principe de l’égalité entre tous, juifs ou pas juifs, qui est important. Il y a des lois discriminatoires en Israël : un non-juif ne peux pas acheter de terres. De fait, il y a une séparation entre juif et non-juif. Est-ce que cela va être remis en question ? Est-ce que les Israëliens vont s’apercevoir qu’il n’y a pas besoin de séparation entre juifs et non-juifs, entre Israël et la Palestine ? Pour l’instant, au niveau des dirigeants Israëliens, l’option qui est choisie c’est la séparation. Si demain il y a un Etat Palestinien à côté d’un Etat d’Israël qui continue ses pratiques discriminatoires, ça ne résoudra rien et les deux Etats vont continuer à se faire la guerre. Pour nous, l’Etat d’Israël est un Etat colonialiste qui ne pense qu’à prendre des territoires. Et c’est la réalité. Même si tu as deux Etats demain, ça ne va pas régler la question, Israël va toujours penser revenir dans les territoires. Le processus d’Oslo renforce cette idée-là. Et encore, l’Etat d’Israël n’a même pas respecté les villes autonomes… Il les a réoccupées, détruites et massacrées. Il y aura la paix quand il n’y aura plus de projet d’occupation, de maintenir l’autre sous la force.
Ofer : le discours Israëlien est d’occuper les territoires pour avoir la sécurité. Les Israëliens ont peur et ne croient pas que les Etats arabes reconnaissent Israël et que les Palestiniens s’arrêtent de faire du terrorisme quand il y aura un Etat Palestinien. Avec ce qu’il se passe dans Israël, c’est très difficile de convaincre la société Israëlienne.
Walid : Ce qui importe, c’est qu’Israël reconnaisse l’injustice qu’il y a eu en 48. Si tu la reconnais, tu comprends mieux les revendications des Palestiniens. Ils habitaient les villes de Haïfa, Jaffa,… et c’était à eux, aux Palestiniens : chrétiens, juifs, musulmans, il n’y avait pas de différence. Il faut que la société Israëlienne accepte l’égalité des droits entre juifs et non-juifs ; Ce n’est pas la peine de parler d’Etat laïque si les gens n’acceptent pas cette idée de vivre sur le même point d’égalité. 75% des villages détruits en 48 sont inhabités ; la majorité de la population Israëlienne est à Tel Aviv, sur la côte, au Nord. Donc la majorité du territoire est vide, il y a de la place pour tout le monde. Depuis 1989, il y a eu un million d’immigrants venus en Israël des pays de l’Est. En mai 2000, Ehud barak est allé à l’aéroport acceuillir le millionième migrant. Alors pourquoi à nous Palestiniens, on nous dit qu’il n’y a pas de place ? On remet en cause un Etat discriminatoire. Et les Palestiniens en Israël luttent pour la même chose. S’il y a la volonté, dans la société Israëlienne, d’enlever ces mesures discriminatoires, on habitera ensemble comme on le faisait avant l’agression de l’Etat d’Israël ; ça prendra du temps. La haine s’est installée parce qu’il y a des affrontements.
Ofer : Ce n’est pas juste la question de la haine. Ce n’est pas la haine qui conduit à la séparation, c’est l’inverse, et l’Etat d’Israël, depuis le début, a été construit sur une pensée de séparation.
Ils étaient totalement aveugles aux populations arabes. C’était l’idée d’être seul. Toute l’éducation Israëlienne est basée sur cette idée de ghetto. C’est dans les livres, à la TV, partout.
Walid : C’est la négation de l’autre. Les Israëliens ont nié l’existence des Palestiniens, pour eux c’était une terre vide, c’est « le peuple sans terre pour une terre sans peuple », c’est pire que la séparation, c’est la négation de l’autre. A la première intifada, ils se sont rendus compte qu’il y avait des gens ici qui ne viennent pas de la planète Mars. A travers l’affrontement, il y a un dialogue indirecte qui s’est instauré, un dialogue de sang, mais c’est un passage. Accepter que l’autre ait les mêmes droits que toi est un long processus. Concrètement, si l’occupation et la colonisation continuent, les Palestiniens verront que du côté Israëlien il n’y a pas de progrès alors ils continueront à résister avec les moyens qu’ils ont et aller commettre des attentats à Jérusalem, Tel Aviv, etc. On peut le condamner autant qu’on veux mais il faut revenir à la source : la première des violences c’est l’occupation. Si tu veux garder quelqu’un sous ta botte, tu dois t’attendre à ce que l’autre riposte.
L’humiliation, il n’y a rien de pire pour un homme.
Ofer : En Europe, je vois un grand mélange entre la question de l’antisémitisme et celle d’Israël et de la Palestine. Pour les juifs qui vivent hors d’Israël, il y a un sentiment d’illégitimité à critiquer Israël ; ils se sentent coupables parce qu’ils ne vivent pas là-bas. Du coup, ils veulent être solidaire et soutenir Israël mais c’est une solidarité générale qui évite la critique politique. En tant que pacifiste Israëlien, je trouve ça vraiment grave parce que si tu veux soutenir la paix en Israël, tu dois soutenir la gauche Israëlienne, aller manifester pour les plus progressistes et être solidaire du peuple Palestinien. Si tu donnes actuellement de l’argent pour Israël, c’est pour Sharon, l’armée, l’occupation, etc. Si tu es solidaire avec Israël, tu dois faire des choses pour les Palestiniens et contre l’occupation car les violences contre les Palestiniens sont aussi une façon de cacher le manque de perspectives d’avenir en Israël. C’est plus facile de faire la guerre aux Palestiniens que de résoudre les conflits entre Israëliens. S’il n’y avait pas d’intifada, les Israëliens ne se poseraient pas la question des colonies parce qu’ils ne veulent pas se confronter sur ce genre de questions. Pendant les processus de paix, c’était presque la guerre civile entre la gauche et la droite Israëlienne sur la question des colonies, entre la volonté d’un Etat religieux et sioniste et celle d’un Etat démocratique et laïque. L’intifada et la résistance Palestinienne sont malheureusement la seule chose qui, actuellement, pousse la société Israëlienne à décider ce qu’elle veut devenir.