
C’est une chambre – si on peux appeler ça une chambre – avec sa kitchenette où elle fait sa cuisine, avec son gamin. Une grossesse, un enfant qui arrive bientôt. Elle travaille à plein temps. Elle n’a aucune réponse à sa demande de relogement, elle est ballottée comme une balle de ping-pong. Béatrice (les prénoms ont été modifiés) est ivoirienne, elle a ses papiers depuis un an mais n’a pas droit aux aides.
Aïda est algérienne, elle aussi loge avec ses enfants dans un foyer, le même que Béatrice. C’est un foyer de la banlieue parisienne appartenant à l’AFTAM, une association rémunérée par l’État pour héberger des travailleurs étrangers. Aïcha a convaincu Béatrice de venir à l’Apeis témoigner de leurs conditions de vie. Ensembles, malgré la peur de représailles, elles parlent. Pour leurs enfants, pour elles, pour toutes les autres.
Aïda - Quand je suis arrivé avec mes mômes j’avais rien, rien, rien du tout bien que soi-disant les enfants étaient français : « OK ils sont français mais vous, vous ne l’êtes pas. » Alors il faut courir pour avoir des petites aides et après t’es censé travailler au black, c’est obligé. Ou voler. Les deux sont interdits et les aides sont pas pour autant données donc c’était une galère. J’étais demandeuse d’asile, réfugiée en quelque sorte… Pour moi c’était vraiment la galère de chez galère. Maintenant ça va un peu mieux mais ça n’a pas été vraiment facile, ça a été une grosse souffrance, une ignorance totale. Il fallait que je me batte, que j’aille à la Préfecture demander ma carte, le renouvellement de ma carte, j’étais ballottée d’un hôtel à l’autre, j’ai même dormi dans des hôpitaux quand y’avait plus de chambres d’hôtels… ça c’est de la pression parce que je sais qu’il y en avait mais bon… voilà. Et après à la Préfecture il faut attendre. On m’a délivré un titre de séjour qui ne m’ouvrait aucun droit aux allocs. Heureusement j’ai eu un boulot, j’étais en extra dans la restauration. Après je suis tombé sur des gens racistes qui m’ont tout falsifié dans mes papiers alors je me suis retrouvée dehors sans rien du tout. Mais il fallait que je fasse bouger les choses pour faire ma formation : j’ai été voir l’ANPE, le conseil général, partout, pour qu’ils me donnent une aide. L’ANPE me dit « Vous n’avez jamais travaillé donc vous n’avez pas cotisé donc on ne peut vous ouvrir vos droits », la CAF pareil, alors qu’est-ce qu’il faut faire ? On donne un titre de séjour de trois mois qui donne le droit de travailler… Heureusement pour moi, au bout d’un mois j’ai commencé à travailler, mais c’est pas tout le monde qui a cette chance ! Je gagnais quoi ? 200 E, des fois 100, des fois 150, mais voilà… J’ai boosté les choses donc après j’ai fait ma formation que j’ai payé moi-même, enfin, j’ai eu une amie qui m’a donné l’argent : 1205 E de sa poche pour que je puisse faire mon diplôme d’assistance de vie. Et maintenant j’exerce ça. En plus, c’est travailler pour les personnes âgées. On entend les médias : « On cherche des gens pour s’occuper des personnes âgées » mais en fin de compte c’est du pipeau !
Maintenant je suis logé dans un logement d’urgence... On a pas de vie quand on est dans un hôtel et que la prise en charge va s’arrêter d’un moment à l’autre, donc on prend ce qu’il y a. Pour moi c’était le rêve ! Un appartement avec un petit séjour, une petite pièce pour les enfants et un endroit où je fais la cuisine… J’allais pas refuser, bien sûr que non. Et là quand je suis rentré j’avais toutes les allocs. Et un mois après, encore un miracle, j’ai pu avoir ce boulot dans lequel je suis aujourd’hui. Après on se repose, on fait un break, on essaye de voir qu’est-ce qu’il se passe avec les voisins, comment ça marche, qui est relogé, depuis combien de temps ils sont là… Enfin, je parle de moi, parce qu’en lisant leur convention j’ai trouvé c’est quand même exagéré : on n’a pas de vie privée. T’as pas droit de recevoir quiconque à partir de 21h30 ; ta vie de femme déjà elle est enterrée. _ Parce qu’il n’y a que des femmes. Moi ça fait des années qu’elle est enterrée ma vie de femme, n’en parlons plus… Mais alors là elle est encore plus enterrée ! Je me vois plus vivre. T’as envie de recevoir quelqu’un ou t’as quelqu’un dans ta vie, t’as pas le droit de le recevoir. Y’a rien qui est fait pour qu’on reste plus de 6 mois là-dedans. De 6 mois à un an c’est faisable, mais quand ça dépasse, c’est insupportable. Et puis ils viennent, ils rentrent comme ils veulent dans nos appartements, ils contrôlent comme ils veulent, ils mettent le courrier dans les appartements alors qu’on a des boîtes aux lettres…, ils viennent : « On veut visiter », on est le musée du Louvre, tout le monde veut rentrer chez nous, on est comme des singes. Et quand tu leur demande « Quand est-ce que je serais relogé ? » « Ah non c’est pas nous qui vous relogerons, c’est à vous d’aller voir les élus, d’aller voir X-Y »… Tu vas voir les élus, ils te disent « Non, c’est l’Aftam ». En fait, il n’y a pas de concret. C’est l’abstrait. C’est la menace tout le temps : « Si vous travaillez pas, on risque de vous mettre dehors. » Donc on vit dans une pression difficile, très très grave. Automatiquement les mamans projètent tout ça et les enfants le ressentent. Donc même les enfants sont perturbés. Comment voulez-vous qu’il n’y ai pas de délinquance ? Excusez-moi mais ils font tout pour qu’il y ait de la délinquance ! L’enfant c’est une tête blanche, on écrit noir c’est noir, on écrit blanc c’est blanc. C’est à la base déjà qu’il faut les éduquer ces enfants pour qu’ils puissent donner quelque chose à cette France. Mais déjà, dès leur jeune âge on leur met le poison dans leur sang et après on dit « Les enfants des étrangers sont vraiment délinquants, voyoux, on n’en veut plus des étrangers chez nous ! » Mais excusez-moi, franchement, je suis là.
Les gens ont peur de venir témoigner, ils en ont envie mais ils ne se sentent pas protégés. Il y a une menace quand même, ils ont peur de venir dire les choses telles qu’elles sont. Quand on est ensemble, on parle, mais dès qu’il s’agit d’aller voir X ou Y pour dire « Voilà ce qu’il y a », ils se sentent menacés. Ils ont raison. Moi je ne m’en fiche pas vraiment mais il faut le dire. C’est un risque mais il faut en prendre dans la vie pour avancer. Il faut bien qu’il y ai un commencement à tout. Je travaille, madame travaille en CDI, à plein temps, et je pense qu’il est temps que les choses changent.
Béatrice – ça fait presque 2 ans que je suis dans ce foyer. Avant j’étais hébergé chez quelqu’un. Quand j’ai eu ma carte de séjour, comme j’étais avec mon fils là-bas et qu’elle m’avait rendue service, elle ne voulait plus que je reste. Alors ils m’ont mise au foyer ici. Ce qui fait plus mal c’est que, du moment que tu travailles, tu assumes, tu es responsable et puis tu te rends compte qu’il n’y a pas d’évolution, il n’y a rien. Quand tu vas voir la dame de l’Aftam, elle te dis d’aller voir les élus, tu vas voir les élus, ils te disent d’aller voir l’assistante sociale, tu vas voir l’assistante sociale et tu retournes à l’Aftam…
A – Qu’est-ce qu’on est au juste à leurs yeux ? Qu’est-ce qu’on représente à leurs yeux ? C’est comme si on a commis un crime ou comme si on était écroué, on est comme des numéros. C’est comme si on est des délinquants, qu’on a fait des bêtises et qu’on nous a mis en quarantaine pour voir… ils sont en train d’étudier notre cas. On est des cas. On n’est pas des êtres humains, on est des cas. Et on est tout le temps en souffrance, avec les nerfs, on arrive pas à avancer. Comment voulez-vous qu’on avance tout en sachant qu’il n’y a pas de stabilité ? Au mois de janvier j’ai travaillé à plein temps, j’ai fait 1300 E, oh c’est bien.. je suis capable de faire plus, de travailler et payer mon loyer. J’ai payé plus de 120 E, on n’a même pas l’APL dedans. Je paye tous les mois… Alors si je suis capable de payer 120 E, tous les mois je paye. Ce mois-ci j’ai payé 92 E. On mange bien, on est bien habillé, c’est pas ça le problème donc si je paye 120 E je peux payer aussi mon EDF, je peux payer des autres choses. On est des gens responsables. On a des enfants qui sont avec nous, on est des parents conscients, on n’est pas inconscients ! Alors franchement je ne comprend pas pourquoi à chaque fois ils nous sortent « Vous êtes pas chez vous ici, sachez que vous êtes justes hébergés » ça on le sait ! Mais pourquoi vous nous dîtes qu’on est pas chez nous ? Pourquoi on est pas chez nous ? Moi je pense qu’on est chez nous. Parce qu’ils nous font pas ça gratuitement. On cotise mais c’est fait exprès pour des gens qui sont un peu en difficulté…
B – Ils disent qu’on paye pas un loyer, c’est juste une participation. Là-bas je pense qu’on est pas bien suivi parce qu’il y a d’autres foyers, les assistantes sociales viennent dans les foyers pour suivre l’évolution des gens. Ici on n’a pas ça. Depuis qu’on est là, on a eu des réunions avec les gens de l’Aftam pour voir la situation de chacun mais à un moment ça s’est arrêté. On leur a dit que c’est pas normal qu’on ne soit pas suivi et ils disent qu’ils vont le faire depuis une année. L’Aftam on sait même pas qui est le directeur, on le connaît pas. On connaît juste la dame qui est là, elle est comme une assistante sociale mais quand tu va vers elle, elle nous fait partir voir une assistante sociale. Et par rapport à nos salaires, le privé c’est difficile.
A – Le privé, que ce soit pour nous ou pour n’importe qui. Le français qui gagne un petit salaire, il peut pas aller dans le privé.
B – L’assistante sociale m’a dit que ça dépendait des foyers, chaque foyer est différent, mais chez nous il y a des choses que j’arrive pas à comprendre. Quand on demande où en est notre dossier, c’est : « Nous on a pas de logements, ce sont les bailleurs… » mais nous on connaît pas les bailleurs. Je suis rentré dans le foyer, je travaillais déjà, et j’ai deux enfants : j’ai une fille qui aura bientôt 13 ans qui est chez son père, et son père est marié. Sa femme souffre d’un cancer et de diabète, ça fait 5 ans que je vois pas ma fille ! 5 ans que je suis séparé de ma fille. Elle peut pas venir ici et je ne peux pas aller là-bas. La femme m’a rendu service en s’occupant de ma fille et maintenant elle ne peux plus. Son médecin a même fait un papier pour l’assistante sociale et l’Aftam disant que ma fille n’est plus en bonne situation d’être suivie là-bas.
Quand tu as deux enfants au foyer, tu as droit à deux pièces, et à ce moment il y avait un deux pièces qui était libre et j’ai dit que j’aimerais que ma fille vienne rester avec moi. L’Aftam me rappelle en me disant « Est-ce que votre fille a des papiers ? » Qu’est-ce que ça veut dire ? Un enfant mineur n’a pas droit à la carte de séjour, il est sous la charge de ses parents ! Mais comme elle n’a pas de carte de séjour, elle n’a pas le droit d’être au foyer. Son père est français mais elle est née au pays donc ici quand on a fait les papiers, ils ont refusé. Ils lui ont donné des papiers séculaires : quand elle aura 18 ans, elle aura droit à la nationalité française. Mais à l’Aftam ils m’ont dit que la carte séculaire n’est pas une carte de séjour. Mais au foyer il y a des enfants qui n’ont pas de carte de séjour ! Comment cela se fait qu’à moi on me refuse ? Et elle me dit que c’était l’ancienne loi. J’ai été à l’OMI (Office des migrations internationales), ils m’ont dit « Il faut tant de mètres carré » Moi j’ai pas de logement, comment est-ce que je peux faire cette démarche-là ? Vous dîtes que c’est l’ancienne loi, donnez-moi le papier de la nouvelle loi qui dit que les enfants qui n’ont pas droit à la carte de séjour n’ont pas droit au foyer ! Je pense que c’est les gens qui ont des problèmes de papiers qui sont beaucoup souvent dans les foyers. Moi je suis à jour, pourquoi vous ne voulez pas la prendre ? Mais elle me dit que ma fille n’a pas de carte de séjour et elle n’est pas payée par la CAF. Mais si vous me logez, je vais faire les démarches pour ma fille ! Jusqu’à présent je leur demande de me donner le papier mais depuis l’année passé ils ne me l’ont pas donné ce papier qui prouve que parce qu’elle n’a pas de carte de séjour, elle n’a pas le droit de rentrer dans le foyer, à vivre avec moi.
Moi je n’ai pas abandonné mon enfant, c’est ma situation qui a fait que ma fille est là-bas ! Si j’avais ma maison, est-ce que je la laisserais souffrir ? Et même l’année passé j’ai demandé à ce que ma fille vienne, et elle m’a dit que ma fille a droit à deux semaine.
Qu’est-ce qu’elle va faire les deux semaines ici ? Donc c’est pas la peine, j’ai refusé. Elle m’a dit « Bon, par rapport à votre situation, la seule solution c’est qu’il faut qu’on vous trouve un logement pour que votre fille puisse venir. » J’ai dit « Bon d’accord » mais j’étais dans un tel état de dépression nerveuse que j’ai commencé à pleurer : « Non madame, ne pleurez pas, je vous promet qu’avant la fin 2004 vous serez relogée » Jusqu’à présent je n’ai plus vu cette dame, elle a été mutée, elle a pris du grade. Jusqu’à présent, rien. Et ça fait aussi bientôt deux ans que je loue un box où je met mes affaires, que je paie 69,80 E , presque 70 E par mois. Et pour mon studio où je suis, je paye 107 E . Parce qu’il n’y a pas de place pour mettre mes affaires.
En plus, je vais accoucher fin juillet-début août. Hier j’ai été à la Préfecture, ils m’ont dit « Oui, vous êtes prioritaire, on se demande pourquoi vous n’êtes pas encore relogée ». Mais la mairie m’a dit que c’est l’Aftam qui ne fait pas son devoir. C’est donc eux qui doivent relancer nos dossiers mais ils ne le font pas. Et hier quand j’ai eu l’entretien avec la nouvelle dame de l’Aftam, je lui ai rappelé que la personne qui l’a précédé m’avait promise qu’en 2004 je serais relogé. Elle m’a dit que « oui, effectivement, elle avait dit ça mais comme elle était muté, elle n’a pas eu le temps de faire le nécessaire. »
A – Mais il y a un suivi, elle aurait dû laisser des consignes !
B – À chaque fois qu’il y a une petite augmentation dans votre salaire, le loyer augmente. J’ai une pièce de 9m2, il y a des gens qui sont dans des deux pièces et je paye plus qu’eux, c’est pas normal.
A – Ce qu’elle paye c’est énorme franchement pour 9m2. C’est trop petit ! Elle peut même pas bouger : il y a deux lits… Moi je dors dans le séjour mais bon, les enfants ont leur chambre heureusement. Mais mes enfants viennent le matin ; quand j’ai besoin de me reposer seule le dimanche je suis obligée de me réveiller parce que eux sont réveillés et viennent se mettre dans le séjour, on se repose pas.
B – C’est énervant parce que tu travailles, tu as un CDI, tu peux assumer, tu es responsable, tu es sérieux et tu n’as même pas le droit d’obtenir grand-chose après.
A – ça coupe tout espoir en fait. Je leur ai dit « Comment vous traitez l’urgence ? » « Oui mais c’est le cas de tout le monde » « Mais attendez, on est normalement prioritaires ! Tout le monde, OK, mais on traite les urgences comme tel, c’est pas le cas. » Chaque personne est une urgence du moment qu’elle est là. Je pense qu’il y a là une négligence grave et il faudrait que ça s’arrête.
Quand j’étais dans un hôtel, j’étais plus libre. Là on est surveillé. Il y a un gars qui avait sa copine, et bien le matin, à 6 heures, la responsable est venue ouvrir sa porte et l’a trouvé avec. Parce qu’en fait, eux peuvent ouvrir mais nous, on n’a pas le verrou derrière, on peut pas bloquer notre porte. Une autre fois ils sont venus encore, et il y avait le responsable qui surveillait les fenêtres pour que personne ne saute par là ! Franchement, ils ont que ça à faire ? On est dans un pays quand même libre, en tout cas, moi si j’ai choisi d’être là c’est pour vivre ma vie telle que je la sens. Et là, interdit d’avoir une vie de couple. Non mais ça veut dire quoi ? Et si j’ai envie d’avoir un enfant ? « Oui mais regardez votre situation. » Mais je suis une femme ! De quoi je me mêle ?
B – Quand je suis allé les voir, ils m’ont dit « Mais y’a des pilules, des trucs qui sont là pour ne pas tomber enceinte et vous, vous n’en prenez pas et tombez enceinte comme ça. » « Mais c’est ma vie privée, c’est pas votre problème. Moi je viens pour autre chose : donnez-moi un logement et vous allez voir si je peux pas payer ! »
A – L’amour est interdit. Ça veut dire quoi ? Que t’as pas le droit d’avoir quelqu’un dans ta vie ? Il faut dire tout haut « J’ai quelqu’un, monsieur donnez-moi l’autorisation pour le voir tel jour » ? Si notre enfant va en vacances, il faut tout leur dire. Attendez, ils vont où là ? Franchement, il y a de quoi devenir dingue et moi je suis en train de péter un plomb. Déjà on sort les poubelles, on balaie toute la saleté, la pelouse derrière, les buissons le soir, il n’y a pas de gants, pas de lumière, il y a des seringues qui traînent et nous on prend le risque ! Ah non moi il est hors de question que je balaie quoi que ce soit derrière les buissons le soir. Il n’y a pas de torche, il n’y a rien. Et puis on rentre fatigué après le boulot toute la journée, le temps de prendre sa douche il est déjà 11 heures passé. C’est hallucinant.
B – Pour la Sonacotra, il y a une personne qui fait la propreté mais là, c’est nous-même qui faisons.
Et puis c’est difficile pour les enfants, il n’y a pas d’endroit pour jouer. J’ai un garçon et je n’ai pas d’intimité, il a 4 ans et il voit clair maintenant.
A – Il faut un peu une séparation entre les parents et les enfants. Les miens ont 12 ans et 13 ans et ils sont complètement perturbés, ils sont suivi psychologiquement, ils ont des difficultés à l’école… c’est tout le temps « Pourquoi ? Pourquoi il y a cette injustice ? » Ils se rebellent, ils se révoltent, ils sont mal. A cause de tout ce qu’on a subit ; depuis que je suis arrivé là, j’ai pas arrêté : d’un hôtel à l’autre, à dormir dans des endroits vraiment… Un enfant ne peut pas comprendre ça. Quand tu lui dis « ça va venir », « Mais quand ? » Et là, encore, ils commencent à se stabiliser… Qu’est-ce qu’on en fait de ces enfants ? ils voient que la loi n’est pas juste. J’essaie de le rassurer mais c’est pas évident.
B – On est bloqué parce que partout où l’on va, on nous retourne vers l’Aftam. J’ai écrit à Mme le Maire pour ma situation et elle m’a dit qu’elle ne peut rien, que c’est l’Aftam qui doit décider de ma sortie. Il y a des commissions et ce sont eux qui peuvent des choses pour nous. Mais eux ne savent pas ce qu’il se passe ici. Quand tu fais des démarches, c’est comme si tu n’avais rien fait car ils te ramènent toujours vers l’Aftam. L’assistante sociale m’a dit « On ne peut rien pour vous, c’est l’Aftam » Tout retournes vers l’Aftam !
A – Quand a-t-on le temps de faire les démarches ? Eux sont payé, c’est clair que c’est à eux de faire le suivi ! On travaille, on rentre dans les critères, on commence à s’en sortir, c’est à eux de s’occuper du relogement ! On reste dans l’abstrait, c’est eux qui font la loi, on est comme des condamnés. Même un condamné sait le jour où il va sortir, nous on sait pas.
Encore heureux que nous, on ait trouvé du boulot. Déjà mon métier n’est pas facile… Je suis dans le social donc si on me casse moralement, comment je vais aller travailler ? Je n’ai pas la stabilité ni dans ma tête ni dans ma vie. À un moment, je travaillais le soir, on m’a dit que je n’avais pas le droit de laisser mes enfants seuls… D’accord mais je vais faire comment ? J’ai essayé, je rentrait à 21h30, mais je n’ai pas le droit d’avoir quelqu’un qui garde mes enfants. Qu’est-ce qu’ils veulent de nous ? On a assez donné, on a droit un peu de respirer, on est des êtres humains et on est des femmes, des femmes seules ! C’est grave quand même ! Ils sont sans répit sur nous : « Il faut travailler, il faut augmenter encore vos ressources » J’essaie de faire le maximum pour arriver à avoir un équilibre mais je ne peux pas. Toute notre vie est au ralenti, même si on veut faire comme le lièvre, on fait comme la tortue. Il y a un ralentissement psychologique. Il y a tout pour nous casser. J’ai l’impression qu’on est là pour qu’on pète les plombs et comme ça ils vont nous arracher nos enfants à la Ddass, c’est ce qu’ils demandent. Parce qu’à la base, on n’est que des étrangers.
B – J’en ai marre, je n’en peux plus. On ferait mieux d’avoir un petit chez-soi, même si c’est petit, que d’être là-bas. Au moins tu es libre dans ta tête. Mais là-bas tu n’es pas à l’aise, tu n’es pas libre, c’est pas facile.
A – Rien que l’idée, pour les enfants, psychologiquement, quand ils sont logés dans des foyers, pour eux, ils sont des enfants diminués. Et même nous.
B – La maîtresse m’a dit « Votre fils, qu’est-ce qu’il se passe ? Il est très agressif » « Écoutez madame, il vit avec sa sœur dans un foyer, on n’est pas bien du tout, voilà pourquoi. » Quand il rentre à la maison,il crie : « Quand est-ce que je vais partir d’ici ? » Je ne peux même pas lui acheter des trucs de loisirs pour qu’il s’amuse parce qu’il n’a pas de place. Il n’y a pas de place.
A – Tout ce qu’ils attendent à la fin du mois, c’est regarder nos fiches. Ça, pour calculer, ils calculent au chiffre près ! Mais nous si on parle, on se casse la gueule… et bien moi je parlerais. Voilà, je parle. Je m’arrêterais pas, même s’ils me mettent dehors. Ils ont pas à me mettre dehors. Pour calculer notre salaire, pour calculer ce qui va leur rentrer dans leur truc, ils sont là, à l’heure et au jour près. Mais pour qu’ils nous soulagent, pour qu’ils nous disent ce qu’ils comptent faire pour nous, comment on va procéder… Il y a beaucoup de gens qui veulent parler mais en même temps ils ont peur. Ils sont coincés, ils ont peur de se retrouver à la rue. C’est l’abus du pouvoir, chacun quand il a un pouvoir, en abuse, il fait marcher la loi à sa façon.
B – On ne connaît pas nos droits là-bas, on ne sait pas ce qui est bien pour nous et ce qui n’est pas bon. On a un toit, c’est tout.
A – C’est ce qu’ils nous disent : « Heureusement que vous n’êtes pas à la rue et que vous avez un toit, estimez-vous heureux ». Mais tant que je n’aurait pas ma liberté dans ma tête où je peux m’épanouir, moi et mes enfants, je me battrais. On en a marre des promesses. Ce qu’on demande c’est avoir un appartement comme tout le monde et qu’on puisse avancer dans notre vie. Ça fait des années que je me bat ! Je me suis battu pour partir d’Algérie avec mes enfants qui y étaient coincés, personne ne m’a apporter une aide ; je suis arrivé ici j’avais rien du tout, j’étais avec deux gamins et trois valises…J’avais rien et j’ai pris le risque parce que je n’en pouvais plus. Et j’arrive ici et je suis encore marginalisée, et pourtant ça fait 3 ans et pendant ce temps j’ai fait beaucoup de choses, mais je ne veux pas m’arrêter à ça, je veux continuer pour avoir ma paix. Si tout ce combat que j’ai mené depuis des années n’abouti à rien du tout, autant mourir ! Franchement je suis en train de mourir ! Le pire c’est que je vois mes enfants, ils sont pas bien et ça, ça me met hors de moi.
B – Si c’était juste moi, je m’en foutrais, mais une fois que tu as un enfant, tu veux son bien-être, tu veux qu’il s’épanouisse comme les autres.
A – On est surtout blâmés. On dirait qu’on est « les choses » de la société. Ils veulent qu’on accepte tout le temps mais non ! J’étais choqué quand j’ai su qu’il y a des gens qui sont là depuis 3 ans… Ça commence à me faire peur.
B – Ils nous traitent comme des enfants…
Propos recueillis par Fabien Bonnassieux et Daniel Paris-Clavel